
L'expression "grande distribution" est devenue, pour certains, l'insulte à la mode. À l'occasion de l'émoi autour des masques importés, ils en remettent une couche.
- DVSM, 3 mai 2020. Dans la perspective à très court terme de devoir procurer des masques à la quasi-totalité des citoyens (ou au moins des actifs), la distribution s'est organisée. Et comme elle semble être en passe de pouvoir assumer cette fourniture dans les proportions massives que les circonstances imposent, voilà qu'elle s'attire les foudres de ses détracteurs habituels. Par contagion, le monde médical, qui n'est pas forcément informé sur les aptitudes de ce secteur d'activité, prend la mouche d'une manière compréhensible, mais peut-être pas tout à fait excusable. La réalité est pourtant simple.
Les équipes d'acheteurs de la distribution, forts d'une solide expérience, ont su lancer des approvisionnements importants, ce dont les services de l'Etat se sont montrés incapables. Ce qui est normal, à chacun sa spécialité. Importer des produits est un métier. Que ce soient des appareils photo, des téléviseurs, des smartphones, des jeans, des composants électroniques ou... des masques, acheter, ici ou aux antipodes, suppose savoir trouver les sources, savoir négocier les marchés, savoir les "verrouiller" (pour ne pas se les faire chiper), organiser les cadencements, maîtriser la logistique, orchestrer la mise en place jusque dans les rayons. Ce n'est assurément pas (et très logiquement) dans les ministères que l'on rencontre les intervenants capables de se convertir en professionnels de ce travail.
Dans cet épisode, et parce que rien n'a été réussi dans la fourniture à grande échelle d'au moins trois éléments, masques, gants, gel hydroalcoolique, et plus significativement pour les professionnels de santé, la "grande distribution" se voit une fois de plus, par un improbable ricochet plus bête que méchant, hériter de sa classique réputation de repère de salauds, celle d'un monde supposé peuplé de gens seulement capables de n'importe quelle mauvaise action juste pour recueillir un peu d'argent, pardon, "faire du fric", selon l'expression la plus usitée. Derrière cette "grande distribution", s'entend le plus souvent l'hypermarché, déjà et depuis longtemps accusé de tous les maux, de la destruction de ce que l'on baptise "petit commerce" à la désertification de nos centres villes. Se perdre dans une telle erreur d'analyse démontre une grande méconnaissance du sujet.
Les enseignes de notre époque n'ont pas inventé la concentration, qui se manifestait déjà dans nos rues commerçantes il y a belle lurette, bien avant que ne soient imaginées nos grandes surfaces. Dans la consommation courante, les Familistère, Primistère, Coop, Félix Potin, Comptoirs Français, ou encore le délicieux "Planteur de Caïffa"* furent des groupements donnant du fil à retordre aux indépendants. Les grands magasins parisiens (Le Bon Marché, la Samaritaine) dupliqués dans les métropoles provinciales, ont aussi déployé des établissements vastes, argumentant sur l'attractivité et le prix et un vaste choix. Le commerce de périphérie (hypers et centres commerciaux) n'a pas été l'initiateur de l'extension démographique faisant croître la périurbanisation. Ces établissements s'y sont simplement implantés, dans ce qui devenait la proximité du plus grand nombre dès les années 60. La grande distribution est aujourd'hui répartie en des milliers de grandes et moyennes implantations, employant des centaines de milliers d'individus, directement ou indirectement.
Mais où sont ces intervenants présumés capables de garder rien que pour eux des millions de masques alors que médecins et hôpitaux en réclament à corps et à cris ; intervenants qui, d'une manière récurrente, ne peuvent que se sentir bien mal considérés à chaque fois que cette expression de "grande distribution" est utilisée avec en filigrane la senteur d'une insulte à la mode parfaitement insupportable…?

*Torréfacteur ayant lancé son enseigne au moment où s'inaugurait la Tour Eiffel, initialement spécialisée sur le café, puis devenue épicerie. (carte postale ancienne)

