
Brûler ce que l'on a adoré... Ce comportement est bien connu. Le commerce dans ses formes groupées et organisées en sait quelque chose...
L'édito, par Yves Dupré.
> Invention française, au moins en partie, la voilà devenue, selon une pensée quasi unique et politiquement correcte, la source de bien des mots. Destructrice de l'activité du centre des villes (analyse erronée), fossoyeuse du revenu des agriculteurs (seconde analyse erronée), pourvoyeuse du gaspillage etc., on lui fait porter tous les chapeaux. "Grande distribution" n'est plus seulement une expression pour désigner un créneau du commerce. C'est, si l'on en croit de nombreuses prises de positions, l'un des maux majeurs de notre époque. En prononcer l'expression qui lui sert de patronyme n'est pas loin de l'insulte. Heureusement, trop d'accusations finiront probablement par tuer l'accusation.
Grande distribution, mais encore ? Où et quand a-t-elle été imaginée ? En France répondront ceux qui se contentent de faire référence à la création des hypermarchés, une invention effectivement originaire de notre sol. Mais les grands magasins, initiatives de pionniers tels que le couple Cognacq - Jay (la Samaritaine), ou Boucicaut (Le Bon Marché) n'étaient-ils pas de la grande distribution, par opposition au "petit magasin", autrement dit, le "petit commerce"? Même question à propos des Sear's, Macy's, et autres célébrités du terrain, outre-Atlantique. Autres lieux, autres époques, le présent n'est qu'un héritage.
Dans une réalité objectivement observée, un constat simple s'impose. Au fil des décennies, tous les domaines d'activité ont évolué dans le sens de la concentration, du regroupement, de la recherche de puissance et d'économie d'échelle. Personne ne peut contester que cette évolution d'ampleur planétaire à apporté beaucoup de choses positives à l'ensemble de la population. Revers de la médaille, de cette transformation, naissent inévitablement des rapports de force extrêmes.
Entre l'hôtel d'une chaîne internationale et la petite auberge, entre le médecin de campagne et le cabinet de groupe, entre la grande concession automobile et le modeste mécanicien garagiste, entre le revendeur de quartier en TV, hi-fi et électroménager et la GSS aux implantations multiples, les luttes sont inéluctablement devenues inégales. Ce qui ne fait pas pour autant des animateurs de ces grandes entreprises concentrées une population de voyous et de salopards. Pourtant, la vieille image du pot de terre contre le pot de fer plane. La grande distribution n'est pas loin de se voir attribuer un délit de sale gueule.
De son côté, le monde agricole, si les analyses que l'on en lit de-ci de-là sont justes, n'a peut-être pas assez évolué dans ce sens de l'histoire. Attention : ces propos ne sous-entendent pas que ce "sens de l'histoire", ou plutôt "sens dans lequel va l'histoire" serait bon sous tous ses aspects. Mais cet univers de la terre ne serait-il pas devenu comparable à un monde de la distribution où, à coup de mille et une ficelles, on aurait réussi à maintenir une galaxie de petites épiceries face aux mastodontes ?
De la situation du monde agricole, on déduit aussi que la "grande distribution", juste bonne à "serrer le kiki des fournisseurs" (ce qui n'est pas complètement faux) est synonyme de dérive vers une mauvaise qualité systématique. La petite exploitation étant pour sa part considérée comme productrice présumée de bonne qualité uniquement. Deux visions aussi surfaites l'une que l'autre.
Il reste que la distribution concentrée est aujourd'hui au pied du mur. Son chemin lui impose de gérer avec pertinence des conditions nouvelles, un peu à cause des usages liés au numérique, mais assez peu en fait, et surtout beaucoup en raison d'une évolution trop souvent démesurée du terrain accompagnée d'une stabilisation démographique désaccouplant pour longtemps la croissance facilement induite par la multiplication du nombre des clients. Dans cette partie complexe et déjà engagée, de surcroît indissociable de réalités économiques planétaires, des dérapages et des stratégies erronées se constatent. Signe que certains luttent pour leur survie. Ce qui est insuffisant pour la jeter tout entière aux orties.