
Ayant laissé filer les bases natives de leurs raisons d'être, certaines affaires solides, pas forcément orientées vers le numérique, ont dérivé vers le naufrage sous l'impact brutal de la pandémie. Juste un exemple…
- DVSM, 25 août 2020. Vocabulaire. "Concept" est l'un des termes les plus galvaudés de l'univers de la distribution. Il aura servi de sempiternelle carotte pour des ouvertures, des changements de décors, bref, des gadgets appréciés des gazettes. Une martingale efficace pour communiquer à bon compte dans au moins la PQR et au-delà bien souvent. Rien de commun avec ce qu'est un authentique concept, une forme d'offre inédite, inventive, envers une clientèle et venant combler un vide ou s'adapter à une nouvelle époque. Ainsi, après la naissance du magnétoscope, le vidéoclub fut un concept authentique, au même titre dans les années 50-60 que la station-service, nourrie par l'épanouissement du parc automobile ou, répondant à l'instauration de la journée continue, qui raccourcissait le temps disponible pour déjeuner, le restaurant en libre-service ou le "fast-food". Précisément, dans ce domaine, une formule originale avait vu le jour dans les années 60, répondant aux souhaits de personnes se déplaçant, professionnels notamment. Avec, en particulier, une très large plage horaire d'ouverture, permettant à ceux qui, pris au piège d'un emploi du temps rebelle, n'avaient pu profiter d'un vrai repas aux heures de services "normales". Ainsi, le commercial, dont un rendez-vous en clientèle s'étant éternisé, qui se retrouvait sur une route nationale vers 15h00, a vu son quotidien s'illuminer quand, sous un toit de chaume, une table restait accessible de 11h00 à minuit sans interruption.
Courte-Paille, enseigne mise en règlement judiciaire et attendant l'offre d'un repreneur, était bel et bien un "concept", puisque cette entreprise, qui fut longtemps d'un des joyaux du groupe Accor*, avait concrétisé une sorte de quadrature du cercle au royaume des restaurants. Non par cette seule amplitude horaire, mais par ce qui la rendait possible, à savoir, un restaurant sans... cuisine…! Et donc, sans ce personnel qu'on libérait ailleurs en début d'après-midi, ce qui bien souvent, dès 14H00 (13H30 parfois…!) conduisait tout client se présentant à l'entrée à se faire signifier que le service était terminé. Restaurant sans cuisine, et par conséquent, avec une carte très courte, basée sur des grillages faites par les intervenants de salle, seulement épaulés dans les coulisses par la plonge, une machine à café, une caisse enregistreuse, et hop…! Quelques entrées simples, quelques desserts du même esprit, permettaient le "repas complet" conforme à sa définition. Si ni le coq au vin, ni la cuisine moléculaire ne venaient titiller les papilles des convives, une arme redoutable compensait ce désagrément. La qualité de la viande était sans faille. Nombre de ces professionnels allant à la rencontre des clients, notamment dans les enseignes diffusant de l'EGP, ont eu l'occasion de souligner comment ces petites oasis circulaires coiffées de leur toit tout en paille avaient changé leur quotidien.
Hélas, rien n'est éternel. A commencer par l'activité des patrons-fondateurs. En prenant un peu de distance avec une jeunesse éternelle pour personne, Paul Dubrule et Gérard Pélisson** ont, c'est la vie, pris aussi de la distance avec le groupe qui est entré dans une phase autant de succession que de cessions. Parallèlement, le tissu de la restauration dans l'Hexagone s'est étoffé en enseignes jeunes aux atouts concurrentiels très diversifiés. Confiés à la logique des "investisseurs", les petites maisons rondes ont évolué avec succès, mais en répondant aussi à des concurrents aux cartes plus étendues. Dans une atmosphère de croissance mais avec une différenciation moins commode à établir, au moins un coup du sort ("coût" serait préférable) est venu semer une perturbation dont les répercussions, pas toujours lucidement perçues (dans de nombreux domaines), ont pourtant été négatives : les 35 heures. Nous avons en mémoire le responsable d'un établissement de province déplorant qu'outre les soucis d'adaptation pour les équipes, la fermeture devenue inévitable à 23h00 (une heure plus tôt) lui faisait perdre tout simplement les… sorties de cinémas. Doucement, d'autres choses ont à leur tour changé, avec certains franchisés rémunérant les serveurs au fixe (!), un abandon du service continu (interruption à 15h00) dans une majorité d'établissements, une qualité qui, selon nos propres constatations, n'est plus toujours aussi "top"… En abandonnant certaines de ses spécificités (peut-être aussi en raison d'un... concept moins indispensable) l'enseigne se cherchait déjà, et même, se cherchait "tout court" un nouveau propriétaire. L'arrivée du virus, privant l'enseigne de recettes aura constitué, comme dans de nombreux autres enseigne, ce coup de grâce rendant impossible une gestion qui déjà, était sur le fil du rasoir. (Pour l'heure, on peut supposer que l'enseigne Courte-Paille puisse en partie survivre. Sauf si des compétiteurs ayant manifesté leur intérêt, saisissent l'occasion pour éliminer un logo qui restait quand même bien attractif). L'épidémie aura eu pour effet, dans de nombreux cas, de noyer des mesures de restructurations vitales dans un alibi sanitaire aux contours flous.
* Novotel, Ibis, Mercure…
** Fondateurs du groupe Novotel devenu Accor, et qui est monté à une époque au rang de n°1 mondial de son secteur.

