Il y a les "pour", les "contre", et tous les autres. Comme pour la chasse, la corrida, le train, l'avion. Critères objectifs et économiques se bousculent dans un monde qui change, l'univers des contenus plus que tout.
- DVSM, 21 novembre 2022. Faut-il arrêter ou continuer la diffusion de chaînes de télévision en numérique terrestre et jusqu'à quand...? Mauvaise question, qui ne peut qu'engendrer de mauvaises réponses. Comme par exemple "tout le monde s'en moque", probablement la plus fréquente, sauf ceux qui sont étroitement liés à cette technique numérique terrestre. Lancée en France il y a 17 ans, la diffusion par "voie hertzienne", donc par les mêmes moyens que la bonne vieille télé d'hier, a été adoptée dans de très nombreux pays, quelques-uns plus tôt, d'autres n'y venant que très récemment. Les progrès dans les techniques de numérisation ont permis, dans des conditions quasi similaires à l'analogique, de transmettre un nombre de canaux soudain infiniment supérieur. Sur notre territoire, cette diffusion a porté d'un coup de 3, voire 4, à 14 chaînes la réception, choix possible pour le plus grand nombre, ce qui n'était accessible avant (et s'était quand même doucement développé) que pour les abonnés à des bouquets via les satellites ou le câble. Remarquons que cette seule évocation nous transpose d'emblée dans un contexte purement franco-français. Sur d'autres territoires, bien avant le numérique, une vaste pluralité de chaînes de TV avait été concrétisée. Ne pas confondre une technique et une politique. Dans la pratique, la conversion TV-digitale a été un peu moins simple que dans cette brève narration. Loin d'être démodée, cette manière de transmettre des contenus n'est toutefois plus la seule. Et c'est bien ce qui en conditionne le futur. Car si la numérisation s'est propagée à la TV terrestre hertzienne, elle a aussi bouleversé le monde bien plus vaste des télécommunications, avec une colossale prolifération de ces "autoroutes de l'information", formule médiatiquement célèbre jusqu'à ce que tout le monde comprenne de quoi il s'agissait exactement. Aujourd'hui plus personne ne parle des autoroutes autres que celles où roulent les automobiles. Et depuis quelques années, la télévision se trouve prise au piège d'un partage auquel elle ne s'attendait pas. Dans les 24 heures quotidiennes dont chacun dispose (facteur essentiel), elle a désormais à ses côtés (ou face à elle) d'autres dévoreurs de ce temps non extensible. On y rencontre les réseaux sociaux, les plateformes de streaming, les formules de revoyure (le "riplet" comme en demandait la traduction un gentil chaland dans un rayon), les YouTube et compagnie, "l'avéaudé", autre les contenus envoyés par des proches ou des millions d'anonymes. (Ah, si seulement le numérique parlait la même langue que les clients...!) Pire, dans ce temps trop bref qui dépend de cette rotation terrestre, entrent aussi des minutes, des heures et même davantage accaparés par des contenus créés par ceux qui peuvent les transmettre, les recevoir, et les regarder. Et réciproquement. Entre une heure de FaceTime avec les petits enfants et la redif d'une série moyenne, bien des mamies ont choisi.
La TNT a véhiculé une ascension en qualité que ses défenseurs ont aussi partagé avec toutes les techniques de l'univers son et image. S'il y a eu l'avènement du numérique en simple définition -et son immunité contre de nombreuses perturbations qui ne ménageaient pas l'analogique-, puis la haute définition, et la très (combien de fois "très".? aurait demandé la télégraphiste d'un sketche connu) haute définition, la photographie, la vidéo personnelle, l'image du smartphone, de la tablette, de l'ordinateur, de la console de jeu, et tous les contenus connectivement véhiculés sont passés par cette puissante amélioration qualitative. La TV mettant même, parfois, un peu plus de temps pour se glisser dans les tendances. Mais aussi démotivant que cela puisse paraître, les consommateurs ont pour habitude de pencher d'abord pour la qualité des contenus que pour celle des contenants. On se croirait au restaurant, où de beaux couverts, une ambiance agréable, des serveurs bien habillés et aimables ne sont d'aucun secours si ce qu'il y a dans les assiettes est médiocre. Voire du... réchauffé, sans arrêt le même plat du jour, ce n'est pas trop motivant. Si de si nombreux individus s'évadent vers les contenus numériques autres que les siens, c'est parce que cette télévision a du mal (économiquement, d'abord) à ne pas tomber dans le réchauffé.
Analogies entre la TNT et les chemins de fer.? Osons .! Il y a (presque) pile 200 ans, s'amorçait la révolution des chemins de fer. Les années récentes -et en particulier les deux à trois décennies passées- resteront dans l'Histoire comme une autre révolution, celle des communications. Le trio téléphone-radio-TV est resté longtemps le noyau de cette révolution, comme les bons vieux trains ont conservé longtemps un statut de moyen de transport dominant. Jusqu'à l'heure d'un partage qui est devenu dérangeant, avec l'automobile, l'avion, et même une auto-concurrence interne, rail contre rail, entre liaisons traditionnelles et lignes à grande vitesse. La TNT, qui n'est autre que la version d'aujourd'hui de la TV "traditionnelle", ne peut échapper aux contraintes que le rail subit face à la route ou aux compagnies aériennes à coûts réels (que certains -en général ceux qui accumulent des pertes- baptisent "low cost"). Partager avec d'autres intervenants est devenu le nerf de la guerre, avec les inévitables contraintes sur les structures. Dans le domaine du rail, chacun a bien conscience que des lignes où les voyageurs ne sont plus assez nombreux pour en équilibrer les coûts d'exploitation et d'entretien ne pourront certainement pas survivre éternellement. Les milliers de pylônes de la TV, les émetteurs et les équipements dont ils sont les supports, sont aussi des infrastructures dont l'exploitation et la maintenance sont à équilibrer. C'est à se demander si cet argument du "gratuit" auquel s'accroche l'univers de la TNT n'est pas le pire de tous pour son avenir. Car du gratuit, même en excellente qualité (au moins celle du contenu), il y en a désormais pléthore. En revanche, un futur radieux pour un secteur de ce genre serait mieux assuré sur de l'exclusivement très qualitatif, même non gratuit, toujours dans le contenu. Malheureusement, des acteurs de l'univers des plateformes y ont déjà pensé. Pas simple. Alors 2030 ou 2040, voilà qui ne change pas la face du monde de ce qui se regarde, s'écoute, se transmet et se partage.
En question à l'occasion d'un tout récent colloque sur l'avenir de la TNT (nous y reviendrons vite), la perspective d'un arrêt de cette diffusion en 2030 (qui est souhaité reportable à 2040 par des intervenants dans ce domaine) éveille par conséquent très logiquement les attentions. Mais n'est-il pas fort complexe d'imaginer de surcroît ce qui se produira d'ici la fin de la présente décennie (et de la suivante) dans un univers où les évolutions techniques restent nombreuses, tandis que les usages, qui ont déjà beaucoup évolué, ne resteront pas davantage inertes, sans que pour autant il soit possible d'en deviner les futurs méandres. Rappelons-nous qu'en 2006, un an avant l'avènement du premier smartphone de l'Histoire, personne n'en avait imaginé l'irruption, ni dans les télécommunications, ni dans le monde de l'audiovisuel, et pas davantage dans les secteurs de la photo et de la vidéo. Tout le monde a son smartphone, et nombreux sont ceux qui y dégustent des contenus, TV incluse. Quant à la box, et son "triple play", n'est-elle pas devenue quasi obligatoire, ne serait-ce que pour la délicieuse déclaration des impôts.? Il n'y a pas que du simple dans la vie...
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