Le commerce dit traditionnel a longtemps eu un immense privilège, celui de bénéficier de fait d'une clientèle ne pouvant pas, concrètement et raisonnablement, "aller voir ailleurs".
- DVSM, 10 octobre 2022. Les établissements dominants d'hier (ou d'avant-hier) sont devenus les dindons d'une farce qu'ils n'avaient pas vu venir. Un dimanche matin, il y a quelques décennies, dans une belle bourgade de la France profonde. La file d'attente, patiente, s'allonge et se prolonge à l'extérieur du magasin. La routine. Affairé à sa tâche, ce boucher n'en finit pas de débiter ses escalopes, ses tranches de rumsteak, ses volailles qu'il prépare avec soin. "Le rôti, au four, pas plus de 20 minutes, ma p'tite dame". Il conseille, garantit l'ultra-tendre, s'excuse de temps en temps, "Désolé, j'en ai plus, j'ai tout vendu". Remarquez la première personne... C'est qu'il domine son sujet. Et même, qu'il domine "tout court". Son épouse est à la caisse. La seule préoccupation de bien des chalands qui attendent est de ne quand même pas trop traîner. Car il faut ensuite aller chez le charcutier traiteur, passer chez le boulanger pâtissier, et chez ce marchand de légumes. L'heure défile. Les recettes de ce matin seront excellentes pour tous. Suffisantes pour que chacun des commerçants de cette jolie place puisse vivre un peu comme en chef d'entreprise. Tranquilles, car les autres magasins, plus collègues que concurrents, sont assez loin, trop en tout cas pour que la population locale s'y rende. Ça, s'était avant. Sans peut-être en avoir conscience, tous ces établissements bénéficiaient d'une position "dominante" (devenue depuis une attitude illégale).
Jusqu'à ce que l'une de ces nouvelles grandes surfaces, l'hyper, le super, enfin, cet endroit ouvre ses portes, affiche son large choix, rappelle la présence de son parking avec station-service (et de l'essence vendue 10 centimes de franc moins cher qu'autre part...!), vante ses promos, ouvre tard le soir. La captivité, pour mille et une raisons, a changé de camp. La position dominante aussi. Les uns ont même milité pour interdire les autres. La captivité par absence de concurrence n'était pas que pour les fruits et légumes ou l'alimentaire. Le "radio-TV-électroménagiste" a aussi longtemps bénéficié de cette tranquillité qui ne pouvait pas devenir éternelle. A la fin, sans doute provisoire, de l'histoire, le boucher en retraite n'a pas pu, comme il le pensait, vendre son "fonds de commerce". Ni même les murs. Même pas les louer. Le centre-ville est déserté. Les magasins sont vides. Et sa caisse de retraite des commerçants lui verse une broutille en guise de rétribution*. Pour l'épouse à la caisse, "peau de balle". Etonnant comme les féministes d'aujourd'hui, qui occupent l'actualité à haute dose, savent garder le silence sur ces femmes de commerçants et leur non-condition, ayant pourtant si longtemps "trimé" dur. C'est à en devenir jaloux de ce boucher salarié de la grande enseigne toute proche, qui ne se fait aucun souci pour son chèque de fin de mois, et se construit doucement une retraite finalement correcte.
(* Nombre d'établissements de commerce, contrairement aux idées reçues, ont très longtemps été gérés par des individus non en "société", mais inscrits en "nom propre" au Registre du Commerce)