Et hop...! Plus que deux. Au fil des mandatures, le débat de second tour des présidentielles se transforme davantage en un marqueur inattendu de l'évolution du petit écran qu'en élément apte à faire évoluer les intentions de votes.
- DVSM, 20 avril 2022. Qu'est-ce qu'il y a à voir ce soir à la télé...? Cette question n'est en rien anodine , surtout pour cette soirée d'avril 2022. De la TV d'il y a un demi-siècle à l'écran d'aujourd'hui, chacune des confrontations se sera déroulée dans une réalité TV différente. Et justement, l'instant est crucial. Mais ne brulons pas les étapes. Revenons d'abord sur un peu plus de 50 ans en arrière. En 1969, après le départ du Général de Gaulle, la petite lucarne oscille entre un événement typiquement français, avec l'élection de Georges Pompidou, et la première audience mondiale géante (entre 6 et 700 millions de téléspectateurs), pour voir un individu poser le pied sur le sol de la Lune. Mais pas de débat, pas encore, l'idée n'a pas eu le temps de faire son chemin. Dommage, dès 1965, un débat De Gaulle Mitterrand aurait pu rassembler une belle audience. Mais ça, c'était... avant.
1974, voilà l'entrée en force du concept, hérité de ce qui s'est déroulé aux USA il y a déjà quelques années. Si l'un des candidats n'a pas le monopole du cœur, l'Etat a bien celui du petit écran. Une lucarne sur laquelle nombreux seront ceux qui ne verront encore les échanges qu'en nuances de gris. Si la couleur a bien été lancée fin 1967, elle ne se répand que doucement, et surtout seulement sur la "deuxième chaîne", la première (qui deviendra TF1), est encore en noir et blanc. Les grands écrans couleurs, il y en a, sont d'une diagonale de 67 cm au maximum, mais à la satisfaction des professionnels, les tubes cathodiques et l'électronique qui les pilote se convertissent à "l'auto convergence", supprimant les innombrables dépannages qui provoquèrent tant de tracas et de migraines dans les ateliers d'après-vente.
1981, le téléviseur a vigoureusement poursuivi sa conquête de l'équipement dans les ménages. Mais le voilà soudain un peu bousculé. Car depuis quelques saisons, à la manière d'une solution pour échapper à cette télévision française qui peine encore à développer son troisième canal (tout couleur), la vidéo s'est invitée en face du canapé. Le magnétoscope est le must, bien qu'encore un peu cher. Les amoureux des joutes politiques vont enfin pouvoir enregistrer les passes d'armes entre l'homme du passé et l'homme du passif. De son côté, la couleur reste pourtant encore une denrée assez rare. Début 1980, le taux d'équipement en France en TVC a à peine frôlé les 35% (contre 97% au Japon).
1988, le plat -enfin presque- devient plus alléchant. Heureusement, les ventes qui n'étaient plus au beau fixe avant 1983-1984 ont été réveillées par un peu plus de programmes et par les Bleus. Canal + a fait surface dans le PAF. Les champions français du ballon rond ont triomphé en Coupe d'Europe 84, et se sont plutôt bien défendus au Mondial 86, disputé à Mexico. TV5 et TV6 ont aussi déverrouillé le paysage. La preuve est faite : les clients achètent des récepteurs surtout s'il y a des programmes à regarder. Pied de nez à la technique. Même si, pour combler les acheteurs, les écrans deviennent un peu plus plats, et leurs coins deviennent carrés. De quoi inspirer les adeptes du design. Jadis caché dans un meuble en bois, le téléviseur devient doucement un objet qui attire les regards.
1995, un certain "Tonton" tire sa révérence, ce qui permet à l'ex-maire de Paris et à son challenger, Lionel Jospin, de se confronter largement à la vue de tous. Largement, puisque à grand peine, "on" a osé le format 16/9, pour pas grand chose, puisque les programmes qui lui sont destinés restent à produire. Toutefois, le téléviseur, dont les ventes en volumes sont en ascension vertigineuse (de 2 millions en 1982, les quantités seront multipliées par 2 vers 1997), est aussi devenu le cœur de la panoplie audio-visuelle, déjà baptisée "home theater" par ceux qui rêvent et parlent Shakespearemment, "home cinéma" pour un vocabulaire plus de chez nous, un schéma du spectacle chez soi qui doucement fait son chemin. Pendant ce temps, les pros du métier savent que le changement, le vrai, le grand, est désormais devenu inéluctable. A l'IFA (Berlin) de ce millésime, Sony leur a montré, en coulisse, ce petit plat appelé à devenir grand.
2002, il y a sept ans, les professionnels savaient, tout en ayant compris que la transition serait un peu longue. L'écran plat, celui que l'on pourrait accrocher au mur comme un banal Van Gogh ou un vulgaire Gauguin n'était plus très loin. Mais pour l'heure, c'est encore le cathodique 16/9 grand luxe qui s'installe dans bien des salles de séjour, quand même concurrencé, encore, par des cathodiques au top du top de leur magnificence, qui n'hésitent pas à se faire "géants", 27, 29 pouces...! Tous les livreurs s'en souviennent. Alors que des 4/3 dont la diagonale peut aller jusqu'à 95cm, tels des desperados de la religion cathodique font, retardant un peu leur mise en bière prochaine, diablement hésiter les chalands ! Parfait, sauf qu'il n'y a pas de débat pour ce second tour. Parce qu'un candidat, sortant, considère que ça ne vaut pas "le" peine de discuter avec son compétiteur. On a les pudeurs que l'on peut.
2007. La cadence s'accélère. On n'attend plus 7 ans entre deux débats, le rendez-vous vient tous les 5 ans. Titillée de la sorte, la technique elle aussi accélère. On se demande d'ailleurs si le téléviseur est bien le centre des attentions, dans un univers où la TNT a mis un certain feu aux poudres, bousculant le camp des bouquets satellites, et laissant désormais s'installer des plats cette fois-ci réellement plats. Qui, pour ne rien arranger côté commerce extérieur, viennent de plus en plus d'Asie, l'Europe ayant "coincé" au chapitre de la dalle. Et comme une nouvelle donne n'arrive jamais seule, le numérique et la haute définition viennent relever la saveur de ce plat. Ségolène se fâche, Nicolas garde son calme, tout cela passe parfaitement en surround. Et pourtant, en sourdine, une autre révolution vient de naître. Encore presque invisible, elle s'appelle "smartphone".
2012. C'est fait, le changement, c'est maintenant, et il est de "tailles". Le LCD a gagné -pour le moment- et il a même relégué le plasma et son noir profond au rang des merveilles démodées. Et dans les foyers, une idée domine les autres : la révolution est terminée. D'ailleurs, en rayon, les ventes déjà s'émoussent. Après avoir culminé aux alentours de 9 millions d'unités, le marché dans l'Hexagone revient vers des niveaux plus logiques (aux alentours de 4 millions par an), les effets du numérique, du plat et de la HD combinés étant globalement digérés. De "tailles"...? Oui, car si les étiquettes du plat s'émoussent, la tendance de la diagonale s'envole. On va enfin voir des battants débattant pour le strapontin suprême en quasi grandeur nature. Pas sûr que ce soit pour eux un réel avantage...
2017, virage, cette fois-ci, le débat, c'est dans la poche...! Qu'est-ce qui aura le plus frappé les esprits, entre une "drôle" de campagne et une télé qui déjà prend la route buissonnière...? Enlisé dans des allusions à des costumes et du travail fictif, voire virtuel, le scrutin vire à l'inédit, et se place véritablement dans l'atmosphère d'un monde devenu très high tech et un peu caniveau. Les vieux concepts sont balayés, les écrans au sein du foyer et des poches se multiplient, chacun regardant ce qui lui plaît là où ça le chante. Ce qui n'est pas forcément les remarques d'un jeune sûr de lui confrontées aux hésitations d'une moins jeune et moins bien assurée. Un signe pour ce qui attend l'écran qui campe face au canapé...
2022, rappelez vous de la question du début... Qu'est-ce qu'il y a à voir ce soir à la télé...? Serions-nous en train de vivre une première...? Oui, et pas n'importe laquelle. S'ils seront sans doute plus nombreux à regarder le débat de ce soir sur un grand OLED, dans bien des cas connecté, c'est ce dernier adjectif qui surtout bouleverse la donne. Car désormais, celle que l'on appelle "télévision linéaire", la télé des programmes, classique, se replie doucement. Comme pour se mettre dans le sillage des innombrables et lassantes rediffusions de cette télévision conventionnelle, pour le débat, on reprend les mêmes. Ce n'est pas de la "redif, pas du "riplay", mais quand même du quasi déjà vu. Or, connecté, l'écran du salon ouvre la voie, comme ses homologues plus mobiles, smartphone, tablette, notebook, vers un univers de contenus qui va jusqu'à l'infini. Netflix (qui traverse un trou d'air, peut-être un effet des multiples concurrences) et quelques autres plateformes diffusant en flux continus (streaming) pourraient bien convaincre ceux que les joutes ne passionneront pas ou plus, d'aller voir ailleurs. Ignorant peut-être tout ou partie de ces échanges dont les enquêtes et sondages semblent de surcroît de plus en plus souligner qu'ils n'ont que des effets infinitésimaux. Le téléviseur, devenu l'écran, ne serait plus le regard seulement braqué sur un incontournable spectacle...? Là-dessus, il n' a plus débat...