PHOTO : voici l'ultime agonie de l'argentique. Mais pas celle de l'image. Joies, regrets...

Après sa matérialité, la photo argentique perd à jamais ses attaches. Cependant, l'image n'est en rien jetée avec l'eau du bain d'arrêt. Cet outil de la mémoire et de l'expression ne sera malgré tout plus jamais le même. Explications, sans se fâcher...!

- DVSM, 14 mars 2022. Le moment est venu de voir l'aventure de la photo argentique sous son visage réel, celui d'une période finalement presque transitoire entre l'art pictural éternel, et la colonisation de l'image par l'humanité dans sa totalité. En résumé, une prodigieuse passerelle servant une migration de l'élite vers l'universel. Il apparaît ainsi des similitudes entre quelques grands moyens d'expression conquis par l'homme au fil des siècles. Après que les moines copistes, dans leurs robes de bure*, furent les seuls à dompter l'écriture, après que les imprimeurs du moyen-âge aient révélé que le message écrit pouvait très largement se propager, après que l'enseignement eut délivré les règles de l'orthographe, de la grammaire et, essentiel, de la bonne tenue du porte-plume, est arrivée par une longue succession d'autres passerelles la faculté pour tous de saisir, dicter, écrire, se laisser plus ou moins adroitement corriger par le microprocesseur. Hélas, sur les réseaux sociaux, se mesure l'ampleur de la catastrophe qui s'abat sur l'écriture que, voici un bon demi-siècle, tout lauréat banal du certificat d'études primaires, ce bon vieux "certif" (soulignant que c'est au niveau du système éducatif que la faillite est patente), gérait d'une manière largement acceptable. Pareil pour les pixels. Les techniques numériques ont lentement mais inexorablement fait passer la capacité de capturer les images du camp de ceux qui avaient un savoir à l'ensemble des humains. Il faut reconnaître que l'argentique avait bien engagé cette transition, mais avec des limites, techniques et économiques. Pour quelques souvenirs touristiques ou la communion du neveu, ça passait. Mais quel utilisateur aurait pu, sauf en disposant d'une très solide tirelire, faire quelques centaines d'images et une pléiade de séquences vidéo juste pour une courte période de vacances, une fête entre amis, la découverte d'un évènement...?

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C'est un fait, tout le monde n'est pas forcément gagnant dans ce ce genre de transition. Si du traitement de texte au texto, ce qui a pris le plus d'importance dans l'écrit par tous se solde pour l'heure par un encalminage de la culture orthographique et syntaxique, pour la photo et la vidéo, la dégringolade est du même esprit. Capturer des images à gogo ne signifie pas savoir les construire. Les Rubens, Rembrandt, enfin, les peintres célèbres, comme beaucoup de peintres du dimanche, avaient ajouté à une nécessaire aptitude particulière des techniques très élaborées. Outre la préparation des peintures elles-mêmes (pigments, liants...) et le choix des brosses, couteaux et pinceaux, ils ont cultivé la maitrise des perspectives, des lumières, des ombres, des dégradés, des plans... Des savoir-faire que la photographie a, à sa façon, et largement par l'argentique, converti aux émulsions, aux grains, aux optiques, etc. Lâchée dans la foule, la photo devenue numérique peut obéir aux mêmes lignes de compétence et d'expérience. Mais la voilà accaparée par les usages de profanes. C'est bien là la plus grande conséquence de cette numérisation.

Il ne faudrait cependant rien voir de répréhensible dans l'inévitable évolution des bonnes ou moins bonnes façons de faire des clichés et des images. Dommage pourtant que les diffuseurs professionnels de documents ne sachent pas, ou ne veuillent pas, se donner la peine d'éviter les trop sordides négligences induite par cette popularisation (et aussi un "je m'en foutisme" trop répandu). Les innombrables interviews réalisées lors de la pandémie, à l'aide de smartphones ou de caméras de notebooks, sous des éclairages catastrophiques et des cadrages affligeants, ont mis dans une lumière aveuglante ce qui est peut-être le signe d'un inquiétant appauvrissement de cette culture des images (alors que quelques conseils entre les chaînes d'info et les interviewés auraient pu, en quelques secondes, améliorer l'essentiel**). Le trépas de l'argentique (sauf et pour toujours au cœur des niches de passionnés) est moins celui d'une technique que d'une culture. Mais à bien y réfléchir, est-ce pertinent d'en évoquer les contours sur un tel ton défaitiste...?  Quelle importance pour une mamy que les photos de ses petits enfants ne soient pas issues de prises de vue dignes des meilleurs virtuoses du cadrage et de la profondeur de champ...? Il en va de même pour l'écriture. Celui qui, sentimentalement et phonétiquement sincère, écrit "je tème" déclare-t-il une flamme moins ardente...? 

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Alors, quels regrets...? La vague des smartphones est devenue d'ampleur, comprenez des mobiles capables de réaliser d'excellentes prises de vues. Le plus grand des dommages se situe davantage dans les rayons de la "smartphonie", où loin de parler de cette image à bord pourtant de plus en plus performante, on se concentre sur des critères de débit, de taille de mémoire, d'écrans incassables ou... de coûts de forfait. Mais rien concernant cette fonction photo, qui se diffusait à l'ère argentique dans une atmosphère de culture de l'image. La quantité n'a jamais été le tremplin de la qualité... 

* D'où vient le mot "bureau". - ** Il en va de même pour certaines fautes énormes qui apparaissent et subsistent dans les bandeaux de bas d'écrans notamment sur les chaînes d'information.

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